Depuis le début de la crise sanitaire de la COVID-19, les yeux de tous sont tournés vers les autorités responsables de notre santé. À la tête de la santé publique du Québec se retrouve un homme coloré, le Dr Horacia Arruda. Son style, sa façon de s’exprimer et sa gestuelle ont immédiatement charmé les Québécois. Il est devenu la mascotte de la pandémie, malgré lui. Au travers des représentations culturelles que sont les mèmes, voyons comment le personnage a fait sa place, du mois de janvier 2020 jusqu’à la fin mai 2020.
La mémétique en bref
Selon Wikipédia, « un mème Internet est un élément ou un phénomène repris et décliné en masse sur Internet. D’après l’Oxford English Dictionary, un mème, au sens général, est un élément culturel ou comportemental qui se transmet d’un individu à l’autre par imitation ou par d’autres moyens non génétiques. »
Un type de mèmes fréquent est l’image (ou la séquence d’images) avec du texte superposé. Il s’agit souvent d’un concept de base, qui est modifié avant d’être partagé, ce qui en fait un véhicule communicationnel facile à faire et rapide à comprendre. Pour être réussi, un même doit généralement être drôle. Dans cet exemple, plus le personnage de Winnie l’ourson, un élément connu de tous, devient sophistiqué, plus son niveau de langue devient familier.

Mise en contexte
Relativement peu connu du grand public avant la pandémie de la COVID-19, le Dr Horacio Arruda est pourtant le numéro un de la santé publique au Québec depuis 2013. Au début de 2020, la COVID-19 ayant mis les mesures sanitaires au centre de l’attention, le Dr Arruda se retrouve sous les projecteurs.
Sa spontanéité se fait remarquer en janvier alors qu’il participe à l’un de premiers points de presse du gouvernement provincial. Voyant que la population semble s’inquiéter démesurément face au nouveau virus, il tente de calmer les esprits en expliquant que « la peur fait faire des affaires qui n’ont pas de crisse de bon sens. » Le niveau de langue surprend, mais séduit par son authenticité.

À la mi-mars, alors que la crise s’intensifie, le gouvernement du Québec annonce une « pause ». Écoles et commerces fermés, déplacements limités, rassemblements interdits. La menace de la maladie à coronavirus est bien réelle et la Santé publique somme les gens d’obéir aux directives. Les points de presse sont quotidiens et suivis par des millions de personnes. Tous les regards sont sur Horacio Arruda.
Une icône de la culture pop malgré lui
Les étoiles sont alignées pour faire du docteur un personnage culturel. Le directeur de la santé publique a un franc-parler qui se démarque dans le paysage des communications gouvernementales, une gestuelle flamboyante et il utilise des exemples colorés. Tout le monde, des jeunes aux moins jeunes, est fasciné.

Ses citations deviennent des classiques instantanés, repris en masse sur Internet dans des mèmes.
Selon Nadia Seraiocco, doctorante en communication à l’UQAM, « pour qu’un tel phénomène arrive, il faut que plusieurs réseaux de petites communautés relaient massivement la même information, en utilisant les mêmes codes culturels. C’est très rare. »
Les mèmes qu’il inspire sont aussi particuliers. Habituellement, un mème est plutôt cynique ou moqueur. Dans le cas du Dr Arruda, les messages partagés sont positifs et flatteurs. Les créateurs de contenus sont ravis.
Les thèmes marquants
Les échanges de produits biologiques
Le Dr Horacio Arruda joue un rôle important durant la crise de la COVID-19 : celui de conseiller le gouvernement et les Québécois sur la santé publique. À cet égard, il est perçu rapidement comme un « bon père de famille ».
Le 16 mars 2020, alors que l’état d’urgence sanitaire est déclaré depuis deux jours, que les voyageurs doivent s’isoler quatorze jours à leur retour et que les gens doivent respecter la distanciation sociale, le Dr Arruda tente de convaincre les Québécois de l’importance de respecter les consignes.
Il lance alors un appel aux jeunes en leur demandant d’éviter de faire des rassemblements pour faire des fêtes. En père d’adolescents expérimenté, il y va ensuite de ce conseil cocasse : « Peut-être qu’il faudrait mettre du savon et du Purell à côté de la bière pour vos adolescents, mais, encore là, je ne recommande pas ce que j’appellerais l’échange de produits biologiques actuellement. »

Le sourire en coin du docteur en sans équivoque et l’euphémisme enflamme la toile. Les jeunes respectueux des consignes sanitaires se servent des mèmes pour partager le message. La synergie entre le directeur de la santé publique et les créateurs de mèmes crée un canal de communication inattendu pour les messages sanitaires.
Les tartelettes portugaises
Le jeudi 19 mars, durant la conférence de presse, le Dr Horacio Arruda annonce entre deux consignes sanitaires qu’il a l’intention de profiter de la pause du confirment pour cuisiner des tartelettes portugaises durant la fin de semaine.

La réaction du public est immédiate et fulgurante. L’idée d’un haut fonctionnaire en tablier faisant de la pâtisserie charme les esprits. La recette familiale du Dr Arruda, d’origine portugaise, est réclamée haut et fort. Les mèmes mettant en vedettes le directeur de la santé publique et son amour des tartelettes portugaises circulent sur les réseaux sociaux.
Les pasteis de nata sont des tartelettes feuilletées aux oeufs emblématiques du Portugal. Alors qu’elles étaient peu connues au Québec jusque là, elles connaissent leurs quinze minutes de gloire. Même le chef Ricardo Larrivée propose sa version de la recette. Durant toute la semaine qui suit, les Québécois partagent des photos de leurs tartelettes dans leurs communautés virtuelles.

Horacio, notre héros
Le Dr Arruda est une figure rassurante durant la pandémie. Il est vu comme une source fiable dont les recommandations aideront le Québec à éviter le pire. Les mèmes sur le thème de l’héroïsme sont nombreux. « Horacio, notre héros » est d’ailleurs le nom de la page Facebook où sont principalement partagés les mèmes portants sur le personnage du docteur.
Selon le sémiologue Jean-Michel Berthiaume, Horacio Arruda n’est pas un superhéros, mais il est un super influenceur. Dans le contexte de la pandémie, les deux semblent équivalents aux yeux du public.
Convaincre une population entière de respecter des consignes sanitaires strictes n’est pas une tâche facile. Pourtant, les utilisateurs de réseaux sociaux sont convaincus et en font même la promotion à travers leurs mèmes. Les gens sont unis devant un adversaire commun et ils sentent qu’ils ont un chef bienveillant pour mener le combat.
Ce statut met le docteur sur un piédestal. Des articles biographiques sont rédigés à son propos dans les journaux. Son visage se retrouve sur des chandails et même sur des pains. Il devient alors difficile pour le public d’être objectif avec celui qui n’est après tout qu’un humain.
En avril 2020, les CHSLD sont aux prises avec de nombreux cas de COVID-19 et les personnes âgées meurent par centaine. En mai, la réouverture des écoles primaires fait des mécontents tant chez les enseignants que chez les parents. La situation est moins propice à l’humour taquin et adulateur des débuts et les décisions gouvernementales font de moins en moins l’unanimité.
Oragio – La danse du confinement
C’est dans ce contexte difficile qu’Horacio Arruda se retrouve au cœur d’une polémique. Il accepte de se filmer en train de danser sur une chanson qu’un artiste amateur a écrite en son honneur. Les paroles de la chanson sont toutefois loin de faire l’unanimité. On y entend notamment : « Partout sur la Terre y’a un oragio/Mon paratonnerre c’est Horacio/On est chanceux d’avoir François Legault/Suspends tous mes droits, j’te donne le go! » La vidéo est ensuite partagée sur Facebook.

Critiqué pour son manque de sensibilité et son attitude désinvolte alors que des personnes âgées meurent en grand nombre, le docteur présente ses excuses le lendemain de la diffusion du vidéoclip.
À partir de ce moment, la ferveur du public se calme sensiblement. La population en a assez des règles et du confinement. La page Facebook « Horacio, notre héros » cesse d’être alimentée le 22 mai 2020. Le directeur national de la santé publique est encore apprécié, mais de façon plus modérée. Les recherches sur Google commencent à montrer une baisse nette d’intérêt envers le docteur. L’engouement du public envers le docteur durant la pandémie aura été à l’image de ce graphique, avec des hauts et des bas.

Communicatrice depuis toujours, c’est dans le domaine du Web et des médias sociaux que je transpose ma passion dans le monde professionnel. Vulgarisatrice incontestée, j’explique les concepts simplement, du marketing de contenu aux bonnes pratiques du Web, en passant par la présence corporative sur les médias sociaux.